Je remets volontiers à la "une" l'histoire racontée par Michel Gaudet, peintre et critique d'art.
pour cette histoire authentique.
"Dans les années 20, mon père, artiste peintre, et son ami Madrigali, décidèrent, un jour, d’aller peindre sur les quais du port de Nice. Jeunes artistes, désargentés, ils escomptaient une création fructueuse. Le port était coloré, les bateaux vifs, et des tableaux, pleins de soleil, devaient être réalisés. Ils se mirent au travail.
L’installation des deux artistes, avec leurs grands chapeaux, leurs palettes et leurs chevalets, ne pouvait qu’attirer les curieux. Ils s’amassèrent rapidement autour d’eux et, comme il est d’usage, mille réflexions fusaient dans une ambiance cordiale… Or, parmi eux, un gros niçois observait sans mot dire…
Au bout de quelques jours, il se présenta : « Je suis Tonin, le patron du restaurant derrière vous. Vous faîtes de jolis ‘’cadres’’ (tableaux en niçois). Si vous m’en faites un, je vous nourris pendant une semaine. ». On imagine l’aubaine, mon père et son copain travaillèrent d’arrache-pied et les tableaux s’accumulèrent…
A la fin de la semaine, Tonin intervint : « je vous ai bien nourris, je vous ai fait bonne mesure, il me faut un beau ‘’cadre’’… » « Qu’à cela ne tienne, choisissez ! » dirent les deux peintres. « Non ! moi je suis de L’Escarène, et si vous me faites un ‘’cadre’’ de L’Escarène, vous me faites plaisir ! ». La difficulté en 1920 était de se rendre à L’Escarène, ni tram, ni bus, ni voiture particulière…
« Bah ! On n’a qu’à trouver une carte postale, le patron n’y connaît rien et n’y verra pas malice. ». Continuant sur la lancée, ils prirent une vieille toile, la recouvrirent de blanc, puis, l’un aidant l’autre, ils façonnèrent tant bien que mal une vue de L’Escarène. Malheureusement, comme cela arrive quand on travaille sur de vieilles toiles, un ‘’repentir’’ fut visible, malgré tous leurs efforts. Un ‘’repentir’’ est une vieille croûte, une crevasse, une boursouflure, trace de la première exécution, qui demeure malgré toutes les tentatives de suppression. L’Escarène était reconnaissable mais le ‘’repentir’’ triomphait, insolemment, au milieu de la composition.
Penauds et intimidés, risquant quand même l’aventure, les deux jeunes présentèrent l’œuvre, alors que le café-restaurant était plein de consommateurs. L’instant fut aussi angoissant que solennel. Dans le silence de ses clients, le patron installa le tableau sur une chaise et le contempla longuement. L’attente devint insupportable.
« Mariette » appela-t-il soudain, « Mariette, viens un peu voir… » Et quand son épouse fut arrivée… « Regarde ces chenapans ! Ils ne m’ont pas dit qu’ils connaissaient bien L’Escarène ! Même ce chemin de mon enfance qui n’existe plus, ils me l’ont marqué sur le cadre ! ». Et manifestant son enthousiasme avec une générosité bien méridionale, il leur offrit encore une semaine de repas pour continuer à peindre sur les quais du port... "
Commentaires
Très joli.
Je ne me lasse pas de lire cette histoire...
Très belle histoire. Le restaurateur a été comblé et les peintres rassasiés !!!
Belle histoire, et vivante, je peux l'imaginer se dérouler devant mes yeux!!! et je souris, merci
Histoire d'antan si bien écrite!
Michel Gaudet conte aussi bien les histoires qu'il les écrit. Il était venu très gentiment lors d'une visite guidée au Ht de Cagnes par Jean Marc (quide O.T.) nous raconter ses souvenirs d'enfance avec Yves Klein...C'était très touchant et aussi très amusant d'entendre raconter les exploits des gamins..
Sympa! des anecdotes comme on les aime! Mais cette histoire pourrait elle encore avoir lieu aujourd'hui? ?!